dimanche 21 septembre 2014

Lettre à Esther

Salut à toi.
Je suis tellement loin en ce moment, mais la distance c'est toujours bon.  On voit mieux les choses qui se passent.  On les comprend mieux.  On les observe mieux. 
Je suis loin et pourtant, en voyage, je me sens tellement plus près de tout.  Plus sensible évidemment. Souvent, en voyage, je rêve à mon enfance.  Je rêve à des lieux de mon enfance.  Je rêve à mes maisons.  J'ai toujours pensé que c'est parce qu'en voyage, on est aussi fragile et insécure qu'un enfant devant l'inconnu.  Je ne sais pas si ma théorie tient, mais c'est comme ça que je me l'explique.  Aussi parce que quand je suis malade en voyage, je me sens petit petit petit.  Et que je voudrais tellement aller me réfugier chez ma mère.  Comme un gamin qui fait un cauchemar en pleine nuit. 
En tout cas. 
C'est pour tout ça que j'aime voyager. 
Parce que ça déplace. 
Et aujourd'hui, j'ai enfin pu me sauver de la routine du travail et retourner me perdre dans la plus grande ville au monde, au milieu de tant d'humains.  Et j'ai expérimenté ce qu'il y a de plus paradoxal ici, c'est-à-dire que très rapidement on passe de la folie d'une marée humaine à un oasis de tranquillité où tout reprend sa place.  
Je suis passé du Tokyo Dome au parc Korakuen juste à côté en dix minutes et tout a changé. 
Tu peux voir sur cette image comment les deux sont si près.  Y avait un match de base-ball dans le Dôme, on entendait les cris, mais ça ne suffisait pas pour que le parc et sa beauté se cristallisent en moi. 

   Je me suis assis et j'ai lu un truc.  Et je me suis senti loin.  Chanceux, mais loin. Et j'ai pensé à toi. 
Nous sommes solitude.  Il faut partir de cette vérité.  Nous devons accepter notre existence aussi complètement qu'il est possible.  Au fond, le seul courage qui nous est demandé est de faire face à l'étrange, au merveilleux, à l'inexplicable que nous rencontrons.  
J'ai pensé à toi très fort et à ce que tu vis en ce moment.  À la peur que tu dois avoir en toi.  Et que j'ai beau essayer de comprendre, je ne peux sans doute pas vraiment.  La peur.  Combien elle peut nous prendre.  Nous serrer trop fort.  Je suis loin en ce moment et des fois j'ai peur d'être trop loin, ça me chavire un moment.  Et j'ai imaginé ton vertige.  Je ne peux rien faire. Mais je peux espérer et j'espère du plus profond de mon âme que tu trouveras de la paix devant la solitude et la solitude de cette peur.  J'espère que trouveras un peu comment faire face à l'étrange, au merveilleux et surtout à l'inexplicable que tu rencontres.  

Je veux aussi te dire ceci:  ce que j'ai appris des Laberge, c'est d'avoir la tête haute.  Votre satanée fierté.  On en rit souvent, elle est parfois intense, mais c'est vrai qu'elle m'a permis d'avancer.  
Et aujourd'hui je veux que tu saches que ce que j'ai appris de toi, c'est cette force que tu as eu de te construire toi-même, armée de cette fierté.  J'ai toujours vu en toi quelqu'un qui s'est fait.  Qui s'est inventé, qui a progressé, forgé.  J'ai toujours eu cette admiration pour ma mère qui a tenu le fort devant toutes situations, comme une générale, et de toi, sa soeur, j'ai toujours admiré cette manière que tu avais eu de partir et de recommencer et de construire ce que tu es devenue dans ta carrière.  Et l'énergie que tu y as mis.  Peut-être que j'ai romancé un peu ça, mais peu importe.  Ça m'a servi et aujourd'hui, je te dis merci.  Merci pour ça. 

(Les Japonais sont comme ça je pense.  Tu te serais reconnue ici je pense.  Ils bossent sans arrêt.  Les enfants vont à l'école le dimanche, je les vois dans le métro en uniforme.  Les acteurs avec qui je travaille commencent deux heures avant moi et finissent au moins une heure après.  
Tout est tellement paradoxal et en osmose ici.  Y a ça, cette énergie qui file, qui avance, et y a la paix dans les parcs.  La spiritualité autour d'un bon repas, ou même dans la manière de payer dans les magasins ou dans la manière d'emballer les trucs.  Tout est fait avec minutie.  Dans le tourbillon, le temps réussit à s'arrêter soudain.)


J'espère que tu trouveras un peu de paix.  Que dans tout ce qui semble paradoxal dans cette épreuve que tu traverses, tu arrives à écouter ton coeur, à laisser du silence t'envahir, que le bruit des vagues de Ogunquit te berce et te réconforte, que les rires que vous avez eu ensemble te rassurent, que dans les gestes du quotidien qui te soutiennent, tu trouves de la minutie, de la beauté, du merveilleux.  Je te souhaite ça.  De la paix et du merveilleux.  
Je suis peut-être un charlatan trop émotif ou un peu trop hippie.  Peut-être que je suis bien mal placé pour parler.  Mais y a une chose que je sais:  je t'admire, je t'aime et j'avance avec toi.

Je sais aussi qu'il ne faut pas que tu te laisses dire de ne pas pleurer. Je passe ma vie avec des acteurs à entrer dans l'émotion.  Je ne sais pas comment construire des ponts ou gérer une banque, mais ça, je pense que je le sais un peu.  L'émotion est utile,  c'est aussi un beau voyage. 
Combat la colère par l'amour qu'il y a autour.  Et cherche dans l'inexplicable, le merveilleux.  Ils ne sont pas inséparables. 

Je vais aller te voir en revenant. 
Je suis loin mais je me sens très près de toi. 
Merci. x



  

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire